Académie des Sciences, Agriculture,

Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence

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CARPENTRAS

                                                    Jeudi 11 avril 2013

 

Une sortie de l’Académie est toujours un temps fort de convivialité ! Celle qui nous a conduits à Carpentras n’échappera pas à la règle ! Aussi ce compte-rendu vous permettra-t-il de partager notre expérience. Il convient cependant de préciser qu’il est le fruit d’une collaboration étroite entre plusieurs membres de cette compagnie que certains qualifient de docte mais que la modestie héritée de notre rencontre spirituelle avec Mgr d’Inguimbert, brillant mais humble trappiste aux pieds nus,  nous incite à définir comme chaleureuse.

Le président de la Commission des loisirs, organisateur de talent, qui prend les contacts et les rendez-vous, qui définit le programme et teste les plats, ne laissant rien au hasard, pousse le zèle lors de ces déplacements, jusqu’à nous présenter chaque fois les lieux et  leur histoire en une fresque  saisissante avec ce sens de la pédagogie qui ne s’invente pas et que tout un chacun se plaît à lui reconnaître! Il se livrait à cet exercice attendu et apprécié quand une petite voix, avignonnaise peut-être, trahie par le micro sûrement, se fit entendre « mais tu ne crois pas que tu les ennuies ? ». Mais qui eût pu formuler une telle remarque ? Nous ne pousserons pas plus loin l’enquête, d’autres se délectent de ces sortes d’investigations sur  les réseaux qu’ils qualifient… en outre de sociaux…Vous imaginez combien ce propos contestataire, provocateur même, a suscité une réaction unanime. Nous buvions, en effet, ces paroles, d’autant qu’étaient abordées les guerres picrocholines qui opposèrent les Avignonnais aux Carpentrassiens apprenant que les premiers, présentés comme naïfs, avaient pris lors d’un assaut, les pots-à-feu juchés sur la façade de l’Hôtel-Dieu pour des canons ce qui aurait suffi à éloigner ces valeureux combattants! Notre arrivée sur les lieux allait nous confronter aux réalités locales.

 

L’Hôtel-Dieu

 

Notre sympathique confrère M. Delmas, grand maître des lieux, carpentrassien d’adoption nous réserva l’accueil le plus chaleureux, mais au sens figuré car il ne maîtrise pas la température extérieure. De retour d’un séjour à la Villa Medici de Rome, métamorphosé par ce temps d’étude et de recherche dans la ville éternelle, il est revenu encore plus imprégné de la tradition pontificale des lieux. En conséquence il sut nous montrer combien ce territoire, réduit en surface mais grand par l’Histoire, avait une identité forte. Marché où se mêlent les gens de la plaine et ceux des montagnes voisines, où se côtoient fonctionnaires, commerçants et contrebandiers sous une débonnaire administration pontificale, Carpentras eut tout à gagner de l’arrivée au XVIII° siècle de cet évêque natif du pays nommé Jean-Dominique d’Inguimbert de son nom de moine : dom Malachie.

Tournant le dos au prélat, dont la statue de bronze rescapée des vandales de toute nature, nous dominait, nous avons alors écouté notre guide. Et Dieu sait s’il  y en avait à raconter sur cet archevêque-évêque à la destinée hors du commun. Natif de Carpentras dans une famille aussi noble que désargentée, affublé d’une mère assez envahissante et très volontaire, plus tard quémandeuse,  Jean-Dominique poursuit ses études à Pernes les Fontaines sous la houlette d’une tante ursuline, puis à Carpentras chez les jésuites et ensuite chez les dominicains. C’est à Aix qu’il étudie philosophie et théologie, et à Paris au collège Saint Jacques, qu’il termine, grâce aux libéralités du duc de Simiane, ses études sacerdotales. Prêtre, il rêvait de partir pour l’Amérique, il devra se contenter de Rome qu’il rejoint en 1709 pour peu de temps car Il va accomplir quelques allées et venues entre la Trappe de Buonsollazo et le couvent dominicain de Saint Marc à Florence…dont les cellules ornées par Fra Angelico étaient de nature à développer son appétence pour les œuvres d’art. Professeur de théologie scolastique à Pise une année, trappiste prenant le nom de frère Malachie l’année suivante, rédacteur de plusieurs ouvrages de théologie dont il surveille l’impression à Rome, appelé ensuite à écrire la biographie du pape Clément XI, il devient confesseur, secrétaire personnel et bibliothécaire du cardinal Corsini. Sa carrière connaît alors une ascension fulgurante car son protecteur florentin devient le pape Clément XII. Pleuvent évidemment les titres et les revenus sur notre trappiste devenu archevêque titulaire de Théodosie. C’est vraisemblablement à la suite d’une cabale qu’il retourne au pays comme évêque de Carpentras en 1735.

Le nouvel évêque se montre très zélé et ses visites pastorales se font nombreuses pour ce petit diocèse. Cette proximité, le caractère rugueux du personnage, ne lui attirent pas que des sympathies au point que des démarches sont accomplies à Rome pour se débarrasser de lui mais avec toute l’onction ecclésiastique voulue, il fut répondu aux plaignants que la doctrine du prélat était sûre quant à son caractère, il fallait s’en accommoder !

Le bon peuple n’avait pas autant de raisons de se lamenter puisque l’évêque aux idées généreuses se préoccupait de son sort. Alors que l’administration du temps de Louis XIV parquait les marginaux, il décida en 1750 de construire un Hôtel-Dieu pour soigner les nécessiteux. Cette réalisation de l’architecte d’Allemand fut tout de même précédée de la destruction d’un couvent qui venait d’être édifié sur une partie du terrain choisi ! On imagine les réactions enthousiastes ! Des sœurs augustines étaient affectées aux soins des malades, l’espace qui était dévolu à ces derniers était vaste et l’aération assurée ; nous pouvons en témoigner.

Dans les couloirs, ventés à profusion, nous découvrîmes des sortes d’ex-voto qui témoignaient en fait de la contribution des donateurs bienveillants. Alors que de nos jours, et pour combien de temps encore ! une déduction d’impôts stimule la générosité, en ce temps-là l’honneur de voir figurer son nom de famille et la somme allouée sur les murs de l’édifice suffisait à rendre heureux, autre temps autres mœurs.

Dans la chapelle baroque, toute de marbre ornée, matériau qui ne contribua guère à nous réchauffer, nous découvrîmes la tombe de Mgr. d’Inguimbert. Notre guide attira l’attention sur la table de communion en fer forgé, œuvre des frères Mille. C’est alors que de facétieux confrères induisirent en erreur notre guide en le persuadant que ces artisans étaient les ancêtres de votre chroniqueur. Le contexte politique aurait cependant dû les inciter à honorer la vérité, ce qui est maintenant accompli.

 La pharmacie annoncée pendant le voyage comme « à peu près aussi belle » que celle de l’Hôtel de Chateaurenard d’Aix, ne nous a pas déçus ! Elle a été réalisée à une époque où l’on soignait encore l’ouvrage et où le souci de la perfection allait se loger dans les détails. L’inscription en latin, au-dessus du  meuble central, “Herbis non verbis fiunt medicamina vitae” (Ce sont les plantes et non les discours qui soignent.) ayant déjà constitué un petit exercice de version pour nous mettre en appétit,  nous saisit dans sa limpidité donnant toute la  mesure des ambitions affichées.

 

 Les corniches, les étagères de bois, les  tiroirs ornés constituent un cadre de qualité. Les faïences, précieux réceptacles de toutes les drogues, sont décorées de motifs d’une grande finesse. Les  différents produits sont indiqués en caractères gothiques tracés avec le plus grand soin. Tout respire la délicatesse, et a de quoi rassurer le malade. L’ennuyeuse disposition des médicaments sur les rayonnages des pharmacies d’aujourd’hui n’incite pas à penser que le progrès soit une notion embrassant tous les domaines…même si les effets, à court terme, des contenus sont peut-être plus sûrs.

 

A l’issue de cette visite, nous prîmes conscience de l’ampleur de l’œuvre accomplie et à accomplir pour rendre les lieux accueillants aux collections…il restera comme l’a bien souligné le conservateur à initier les visiteurs à ces œuvres particulières qui témoignent d’un passé que leur culture tient un peu à distance par les priorités de notre société.

 

 

La Bibliothèque Inguimbertine

 

 Après « les plantes », nous sommes finalement passés aux « discours », en fuyant les grands couloirs, récupérant un peu de chaleur à l’extérieur avant de regagner la bibliothèque Inguimbertine et ses salles de stockage et de lecture où les livres se pressent dans des caisses de bois entassées les unes sur les autres.

 Le prélat cultivé avait précisé dans son testament qu’il laissait « non seulement à ses concitoyens mais aussi aux étrangers de quelque pays qu’ils puissent être, sa bibliothèque, ses manuscrits, son médailler, ses antiques et ses estampes ». Cette grande libéralité nous permit de prendre la mesure de son érudition et de revoir à la baisse la notion d’obscurantisme clérical.

 Au détour d’un couloir, le regard de Peiresc dont le buste était posé sur une stèle, nous surprit.

 La collection de peintures nous a plongés dans un espace vaste et éclairé,  pourvu de sièges. Il n’a pas échappé à la compagnie que la disposition était originale car des papiers peints représentaient des bibliothèques, préfiguration de ce que sera la mise en valeur des collections à l’Hôtel-Dieu rénové.

 

Le repas

 

     Dans une belle salle aux pierres apparentes, cette halte salutaire a permis d’échanger et de se restaurer. Pour ce qui est de la restauration, la cuisine s’évaluant désormais par son aspect autant que par sa saveur, on a pu noter que la forme géométrique rectangle avait été privilégiée par le restaurateur. Le pâté de légume, le croustillant de « volaille », terme fort élégant pour désigner finalement une préparation savoureuse à base de poulet, le gâteau, tout n’était que parallélépipède-rectangle. Le sucre fourni avec le café aurait pu s’inscrire dans cette lignée eh bien ! non, il était conditionné en sachet! Ne faut-il pas toujours surprendre ! La table où siégeait notre secrétaire perpétuel fut soumise à une cruelle attente car bien que première sur le circuit des plats, elle fut toujours servie en dernier, sauf pour le café! Ces commensaux savent que « les premiers seront les derniers » mais ils devaient penser que ce serait plus tard !  Nous étions très heureux de partager ce repas avec M.Delmas et son épouse qui nous avait rejoints.

 

Sur le chemin de la synagogue, notre confrère Bernard Terlay  attire notre attention sur cet arc romain, accolé à la cathédrale qu’il avait évoqué dans une de ses récentes communications à l’Académie. Les trophées sculptés de part et d’autres sont assez remarquables.

 

La Synagogue

 

 

 Nouvelle dimension dans cette incursion en terre jadis pontificale, la présence d’une communauté juive et la survivance de la Synagogue de Carpentras modifiée en 1741-1745 par le même architecte que celui qui établit les plans de l’Hôtel-Dieu,  ont constitué l’un de nos centres d’intérêt de l’après-midi.

Sans aucun signe distinctif à l’extérieur, elle se dresse à proximité de la cathédrale. Après que les hommes eurent revêtu la kipa, nous fûmes introduits dans la salle de culte.  Les péripéties de la Révolution et de la 2° guerre mondiale ont privé provisoirement les lieux de leur mobilier mais racheté pour la première période et sorti de leur cachette pour la seconde, il peuple encore l’espace aujourd’hui. On a été sensible à  la grâce du fauteuil d’Elie recouvert de velours rouge (propre au rite comtadin) et à l’éclat des lustres anciens de fort belle facture. Elle est aussi dotée, à l’étage inférieur que nous n’avons pas pu visiter d’un mikvé (salle d’ablution rituelle), de deux  boulangeries et d’une cour intérieure servant à l'abattage selon le rite kascher. Il nous fut expliqué que le toit de la synagogue avait été ramené à une hauteur moindre que celui de la cathédrale voisine, en guise de consolation, le plafond fut peint en bleu ciel.

 

C’est une guide très avenante qui, d’une voix forte et d’un calme à toute épreuve, nous a présenté l’histoire et qui a répondu aux questions que nous formulions. La présence d’une communauté juive est attestée depuis les temps les plus anciens, des réfugiés ont afflué dans les états du pape, ils étaient 500 à la Renaissance  et plus de 1000 à la veille de la Révolution. Maintenant la communauté est plutôt réduite mais toujours fidèle.

 

M. Bernard Terlay compléta l’information en recourant aux vocables provençaux, nous enseignant un certain nombre de mots et réservant pour la suite ceux qui n’avaient pas à être prononcés dans un tel contexte.

 

*

 

Sur notre parcours, le passage  Boyer, couvert par une haute verrière,  a été édifié par les chômeurs des Ateliers nationaux en 1848

 

 

 

La Cathédrale

 

Saint Siffrein ! Quel Académicien n’a pas senti se réveiller ses papilles à l’évocation de ce vocable revendiqué autrefois par une marque de berlingots ?  Mais la sagesse acquise au cours du temps a incité à ne retenir que le fait qu’était offerte à sa vue une cathédrale témoignant d’un beau gothique méridional.

Commencée en 1404 sur ordre du pape Benoît XIII (on remarquera que la marge de manœuvre des évêques était limitée sur un diocèse aussi exposé à la vigilance pontificale, il reste à espérer que la volonté exprimée par le souverain pontife était assortie du financement !), la cathédrale, achevée au début du XVIème   verra  sa  façade complétée au XVIIème siècle  par un portail classique.

Le portail flamboyant de la fin du XVème  siècle était appelé porte juive car c’était le lieu de passage des juifs convertis qui venaient recevoir le baptême.

Notre-Dame d’Aubune

 Le déplacement jusqu’à Notre Dame d’Aubune permit à notre confrère Bernard Terlay de développer ce qui avait été tu par respect à la Synagogue…et de rappeler que les choses de la nature étaient, au temps jadis, évoquées avec grande spontanéité et teintes d’humour.

La chapelle ND d’Aubune dont la fondation serait attribuée à Charlemagne, se découvre depuis la route. Le bus s’arrête ménageant à la compagnie un peu d’exercice. Le site offre une belle vue sur la campagne. Le ciel est menaçant mais une statue de la Vierge, souvenir d’une mission de Capucins, cadeau des habitants du village, nous assurera vraisemblablement la protection espérée.

 L’extérieur de la chapelle, des XI° et XII° siècles, restauré, met en lumière le calcaire de la région. Le très beau clocher se signale par deux étages de baies dont les arcs en plein cintre sont supportés par des colonnettes aux chapiteaux ornés.

 L’intérieur serait à restaurer  car il a souffert de l’humidité. Un plafond à caissons a été réalisé en trompe l’œil. Les fresques sont du XIX° siècle laissant percevoir angelot noir et porte du ciel…

 

A 18 h15 sonne l’heure du départ. Les  conversations sont animées ! Il n’a pas plu……..la journée a été bonne…….l’organisation fut excellente comme toujours……..On a dit un grand merci à notre confrère R Bout et à son épouse,  longuement applaudis.