Académie des Sciences, Agriculture,

Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence

Accueil

Sortie de l’Académie d’Aix – Châteaux d’Esparron et de La Verdière

 

Jeudi 11 mai 2017

 

La vie de château se mérite surtout si ce dernier est juché sur ces hauteurs que nécessite une position défensive! Ce ne sont pas les académiciens qui ont dû gravir d’âpres marches pour accéder au château d’Esparron de Verdon, qui le démentiront.  Et la tâche fut rude, à la mesure d’un jeu de piste, car le concours des autochtones n’est pas assuré pour qui cherche son chemin dans ce véritable labyrinthe. Le grand portail d’entrée acquis là « où s’achètent les châteaux en kit » et implanté à l’orée du terrain de boules que s’étaient octroyé les villageois au fil du temps, s’est ouvert à notre arrivée. Rien d’étonnant car Alexandre Mahue avait adressé, la veille, à notre président ce message plein de sollicitude :

« Que l'Esprit des Forbin et des Castellane soit avec vous ! »

 

Le comte de Castellane et son épouse nous faisaient donc les honneurs de leur demeure. Nous n’aurions garde d’oublier ce sympathique animal de compagnie qui nous accompagna tout au long de la visite et dont le rôle ne doit pas être négligé si l’on en juge par la présence constante de ses prédécesseurs et autres congénères sur les portraits de famille récents, ornant les murs séculaires.

 

Pour ce qui est de l’architecture, nous comprîmes que deux châteaux médiévaux séparés furent réunis un beau jour par le truchement d’un escalier à vis de 1448, magnifique au point de rendre jaloux les propriétaires du château de Lourmarin.  Heureusement la furie dévastatrice de la Révolution a épargné les lieux!

 

En effet, seule une rampe en fer forgé, ornement de l’escalier extérieur (désormais en pierre pour décourager les barbares à venir) a été jadis dérobée et un blason mutilé.

 

En outre, en raison du fait que la campagne de cambriolages visant cette demeure a été jugée « raisonnable » par notre hôte, celui-ci se retrouve dans ses meubles,  plus chanceux que d’autres châtelains, victimes de visiteurs indélicats qui en sont réduits à acheter parfois, chez des brocanteurs, leurs propres meubles dérobés jadis dans la résidence dont ils ont hérité. Et comme les archives de famille ne sont pas encore considérées comme produit suffisamment et immédiatement lucratif, par ces gens que la pudeur journalistique décrit comme commettant « des incivilités », sont encore conservées ici celles des Grignan.

 

Notre pérégrination fut un peu sportive car ce sont des escaliers escarpés qui nous conduisirent des salons, à la cuisine puis aux salles à manger… (mieux vaut éviter d’agrémenter le menu d’un soufflé)… et jusque sur la terrasse couronnant le donjon d’où la vue sur le village et le lac artificiel est admirable. Avec délicatesse, notre hôte a proposé des sièges à qui le souhaitait rendant aisée la pérégrination. La majesté de ces lieux, la hauteur des plafonds, la dimension des pièces et l’absence d’appareils de chauffage récents conduisirent à poser la question de savoir comment était chauffé un tel volume et le comte de Castellane, justifiant l’absence de chauffage, nous rassura par cette remarque pleine de sagesse : « les microbes ne résistent pas au froid…nous ne sommes jamais malades ! ».

 

Très sensibles à l’accueil que nous avons reçu, nous ferons savoir que des chambres d’hôtes offrent la vie de château à qui veut s’immerger dans l’arrière pays varois. A la belle saison, c’est un bonheur !

 

 

Le relais Notre-Dame de Quinson

 

Les académiciennes et académiciens sont évidemment fort détachés des contingences matérielles ce n’est pas une raison cependant pour les priver des plaisirs de la table. L’emploi du temps leur a donc ménagé un créneau pour les agapes, au relais Notre Dame de Quinson, à quelques mètres du célèbre musée de la préhistoire conçu par Norman Foster et supervisé par notre confrère Henry de Lumley. Nous ne sommes pas habilités à évaluer les tables de la région et ne voudrions pas concurrencer les sites qui s’y emploient mais nous pouvons exprimer notre satisfaction en ce qui concerne celle-ci, d’autant que les horaires que nous avions fixés, avec un peu d’élasticité cependant, ont été respectés.

 

 

La Verdière

 

La deuxième visite pouvait commencer…mais encore fallait-il parvenir sur le site du château de La Verdière que l’on ne peut rater, eu égard à ses dimensions exceptionnelles. N’est pas qui veut le plus grand château de Provence ! On l’atteint, en effet, difficilement car la commune ne semble pas avoir intégré la présence d’un château sur son territoire et n’a pas jugé nécessaire de placer des panneaux indicateurs révélant ce passé prestigieux qui rejaillit pourtant sur elle.

 

C’est Alexandre Mahue qui nous fit les honneurs des lieux et nous ne l’avons pas regretté car il nous a tenus en haleine durant 3 heures et nous l’aurions encore écouté longtemps nous conter cette aventure exceptionnelle!

 

Pouvait-on espérer plus belle transition par rapport à notre visite matinale, que d’apprendre que La Verdière fut jadis la résidence des Castellane. Tombés dans l’escarcelle des Forbin, par les hasards de l’Histoire, les lieux connurent au XVIII° siècle une mutation si extraordinaire que l’on a de la difficulté à comprendre pourquoi cette famille qui disposait de demeures dans toute la Provence a voulu donner à celle-ci, pourtant éloignée des villes, perdue dans la campagne, située à des encablures de la mer, une telle ampleur servie par un tel faste. Que l’on en juge…au moment où se décide cette mue, la surface est multipliée par 15, un mur d’enceinte de 3 km,5 est édifié, 25 salons de réception sont aménagés, une galerie de 35 m trouve aisément sa place dans ce remaniement, les gypseries d’une finesse incroyable s’étalent sur la plus grande surface que l’on connaisse en France et le tout fut conduit à son achèvement pour la somme faramineuse de 600 000 livres. On imagine le train de vie de l’époque, assez bien résumé par les maîtres des lieux  dans un courrier : « quand nous sommes seuls, nous sommes cent ». La bibliothèque comportait 4000 volumes…les archives auraient pu éclairer les chercheurs mais victimes de la folie dévastatrice des révolutionnaires toutes ces sources d’information ont été consumées lors d’un autodafé aux valeurs de la République d’alors, dans la cour d’entrée.

 

 Le dernier Forbin d’Oppède mort sans descendance avait cédé par testament son bien à son cousin Forbin La Barben. Après lui, les propriétaires successifs n’ayant pas placé en tête de leurs préoccupations la conservation du patrimoine procédèrent à un dépeçage du trésor à des fins commerciales. En 2002, un projet immobilier devait modifier l’espace pour accueillir 182 studios mais s’est heurté, par chance, à l’incapacité de la station d’épuration du village à traiter ces volumes annoncés…Le projet tombait à l’eau! Qu’allait devenir La Verdière ? Par bonheur, l’année suivante, un particulier amoureux des vieilles pierres se porte acquéreur et lui rend tout son lustre.

 

Petit à petit la résurrection s’opère. La priorité du nouveau châtelain est d’entretenir dans le respect. Alors que des salles privées de plafond étaient en « connexion directe avec les étoiles », les poutres se rhabillent de planchers, les toitures se parent de tuiles. La où les gypseries sont encore présentes, on les restaure, là où elles ont disparu, on invente des plafonds à la française. Des meubles inestimables viennent prendre place dans des salons comme ce cabinet incrusté de pierres dures sur lequel l’œil même averti d’un académicien croit percevoir des «vedute».  Quelqu’un fait-il l’acquisition d’un palais à Venise et se sépare de 32 lustres comme on sait les souffler là-bas…qu’à cela ne tienne, ils sont achetés et suspendus à La Verdière. Telle riche héritière vend-elle aux enchères 37 mètres de tapisserie tissée sur une commande de Diane de Poitiers et représentant, comme par hasard, Diane chasseresse…elles sont bientôt accrochées dans la grande galerie du château. Mais là où le raffinement atteint son paroxysme, c’est dans la recherche d’une harmonie entre les motifs des gypseries ornant murs et plafonds et ceux qui décorent les meubles acquis chez des antiquaires. Voir le même cygne moulé dans le plâtre se retrouver inscrit dans le cuivre et sculpté puis doré dans le bois interpelle le visiteur qui se demande si tous ces éléments n’avaient pas été conçus, dès le départ, pour être en ces lieux.

 

 Dans un autre salon, deux portraits sont placés côte à côte, et représentent le même aristocrate avant et après la Révolution. Il n’est pas nécessaire d’épiloguer pour savoir de quel côté se situe celui où il apparaît le plus épanoui…malgré le bonheur d’avoir échappé à la guillotine!

 

Dans l’appartement de Madame de Forbin se succèdent les objets les plus précieux comme ces tentures enveloppant le lit, en soie chinée à la branche (fil peint à la main), cet écrin de barbier dont les ustensiles sont en argent ciselé, ce magnifique Christ en papier mâché mais l’apothéose est à venir dans le salon d’été qui présente l’avantage d’être d’origine! Dans cette pièce de fraîcheur, le bleu céleste domine, choisi à dessein pour éloigner les insectes. Le sol est recouvert de faïences de Moustiers blanches dont la décoration à la grecque se reflète en écho dans toute la pièce et les gypseries atteignent les sommets du raffinement exhibant des personnages en relief incarnant les continents. Le tout a un petit air de bonbonnière à la Wedgwood mais c’est tellement charmant! Près de l’entrée a été logée une commode en marbre, marquetée d’albâtre, comme seules en détiennent des familles princières italiennes au passé prestigieux dont les noms résonnent à Rome, Farnese et Colonna!

 

Avant d’entrer dans la grande salle de bal, nous est présenté un vêtement porté par le dauphin, futur Louis XVI. Quelle touchante introduction à la collection qui est exposée dans la grande galerie et qui se compose de 450 costumes anciens et plus récents comme cette petite robe en fil de plastique qui fut portée courageusement par l’épouse d’un de nos premiers ministres jusqu’au moment où la climatisation qui sévissait dans la salle de banquet raidissant les fils, la contraignit à s’en débarrasser très dignement, à n’en point douter!

 

Alexandre qui a choyé notre groupe,  a déployé comme cadeau d’adieu un voile de mariée composé de carrés constellés d’inscriptions, de dessins et de signes cabalistiques réalisés par des artistes aux talents aussi variés que variables mais il en est un qui a retenu notre attention, il se composait d’un seul mot mais répété 3 fois «Amore, amore, amore!» tout un programme! C’est sur cette note d’espoir que nous nous sommes quittés plein de reconnaissance envers ces guides d’une journée inoubliable qui ont su nous faire aimer ce qu’ils nous donnaient à découvrir.

           B.M.