Académie des Sciences, Agriculture,

Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence

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Voyage vers le Lacydon

 

Jeudi 27 mars 2014, l’Académie invitait ses membres à remonter le temps, sous la houlette de notre confrère Jean-Marie Gassend. A cet effet, un rendez-vous avait été donné au musée du Vieux-Marseille, vaste espace dominé par les mètres cubes de béton du temple de la consommation qu’est le complexe du Centre Bourse. Deux accès pour le même lieu, voici de quoi retarder le rassemblement des effectifs ! Pour occuper cette attente, d’honorables confrères, droits comme des « I » sur un escalier roulant, se dirigèrent vers ce qu’ils pensaient être le trésor du passé jusqu’au moment où ils réalisèrent qu’ils se heurtaient à la porte du parking…réceptacle de toutes les pollutions et émanations. La remontée mécanique fut tout aussi digne et gracieuse, personne n’en douterait ! A l’accueil du musée, une statue représentant un homme courbé sous le poids d’une toiture en équilibre sur son échine fut immédiatement interprétée, par certains, comme l’allégorie de l’Aixois chargé des dettes de Marseille dans le cadre de la Métropole à construire.

 

Quand notre guide eut récupéré ses troupes et qu’il donna ses consignes, il prouva qu’il avait assimilé les règles de courtoisie qui s’imposent à l’Académie: « vous allez vous diviser en deux groupes, mais pas par affinité car à l’Académie tout le monde s’aime ». En gestionnaire avisé il distribua à chaque couple un carnet d’images. En pédagogue éclairé il l’avait composé au moyen de la superposition d’aquarelles des monuments antiques s’insérant dans une représentation à la plume de la ville actuelle. La couleur ravivait le passé lumineux, le gris et le noir disaient le présent afin que s’effacent les atteintes du temps et qu’éclate l’architecture grecque.

 

Certains optèrent pour la visite du musée en premier. Ils évitèrent la fraîcheur matinale et découvrirent d’abord des images de la grotte Cosquer apprenant ainsi que nos lointains prédécesseurs côtoyaient pingouins et méduses et qu’ils étaient les premiers organisateurs des oursinades! Les Grecs originaires de Phocée, qui leur succédèrent levaient volontiers le coude…de connivence avec les Etrusques, immigrés de l’époque…Certes le vin avait un petit parfum de résine car pour assurer l’étanchéité des amphores, on enduisait les parois intérieures…mais à l’extérieur, le contenant avait un véritable clinquant assuré par le mica qu’ils mêlaient à l’argile. C’était un excellent argument de vente car on savait en fonction de ce type de fabrication d’où venait le flacon. Ils maîtrisaient aussi l’art du verre qu’ils soufflaient ou moulaient mais plus malins que les Vénitiens qui le comprirent trop tard à leurs dépens, ils avaient installé, par prudence, leurs fours hors de la ville. Les épaves de grande taille lyophilisées témoignaient de l’activité intense de ces commerçants bravant les éléments pour exporter par mer tout ce que notre région produisait alors. Plus loin, un énorme chapiteau sculpté, tombé d’un temple car on imagine mal, vu son poids, qu’on soit allé le décrocher, tendait à prouver qu’ils ne négligeaient pas de se tourner aussi vers le ciel. Enfin leurs rituels pour les inhumations où ils recouraient à la pierre, au plomb et à l’argile nous furent révélés par la mise en scène des objets découverts…Les femmes partaient belles, pour le grand voyage, munies d’un miroir pour un ajustement complémentaire et les hommes propres, affublés d’un grattoir en cas de besoin…

 

On en était arrivé à l’époque romaine avec stèles, bateaux et toujours ce vin qui coulait à flots…quand il fallut changer de guide. De nouvelles consignes sont alors données, un repas nous est promis pour 15h 15…ce qui fut vite rectifié. On savait nos intervenants bavards, et ils l’ont prouvé…mais tout de même ! Et nous plongeâmes dans le port, passant entre le bassin d’eau douce et les quais, admirant cette porte dont une des tours penchait, remarquant les rainures des dalles antidérapantes de la « via ». Notre guide évoqua la prise de Massalia, bourgade qui ne sut pas choisir entre Pompée et César et les ruses déployées par les Marseillais bien vite déjouées par les troupes de César, si l’on en croit le récit qu’en fit ce dernier dans son De Bello Civili. Les questions fusent, comme toujours, prolongées par certains récidivistes et l’on entendit même cette remarque digne d’une réplique célèbre d’homme politique truculent, « tu as très bien répondu mais ce n’était pas la question »! Un académicien ne s’en laisse jamais conter ! On apprit aussi que les personnes commises aux fouilles étaient encouragées par un petit coup à boire lorsqu’étaient trouvés des tessons de verre ce qui donna l’idée, aux plus malins, de s’en remplir les poches sans que l’origine soit avérée, histoire de renouveler le plaisir. Cette transition nous permet de passer au moment du repas qui nous fit dévaler quelques siècles, le restaurant se réclamant des Templiers. Le lieu affichait la couleur car ses grandes baies vitrées arboraient des photos sous titrées vantant les mérites d’une tête de liste aux élections municipales marseillaises dont nous tairons le nom par devoir de neutralité. Nous pouvons tout de même remarquer, avec le recul, que ce restaurateur-là…avait eu du flair !

 

L’évocation des navigations ne pouvait que conduire à une traversée du Vieux Port sur le Ferry Boat complaisant au point de nous transporter sans caprice, en douceur, en silence et gratuitement d’une rive à l’autre.

 

Ce précieux temps épargné, nous pouvions gagner les hauteurs, passer devant l’entrée du Pharo pour aller découvrir Gyptis. Bien dans le prolongement de notre visite du matin, cette belle réalisation de 9 m 85, progressant à la voile et à la rame, nous fut présentée par Monsieur Pomey. Copie conforme d’un navire grec assurant le transport de proximité, cette embarcation commencée en 2013 a tout de même nécessité 2000 heures de travail, créant six emplois. Les esclaves n’étant plus de mise, il fallut compter sur le bénévolat de jeunes lycéens pour assumer les petites tâches répétitives. Comment sans cela parvenir à assembler, par ligature, toutes ces pièces de bois dont les jointures étaient enduites de poix?  Et en plus il a vogué !

 

C’est sur cette reconstitution que s’est achevée notre remontée dans le temps, favorisée par les instances de l’Académie.

 

Que soient remerciés le bureau pour ses encouragements, M.Bout, notre inlassable organisateur, pour sa persévérance, notre confrère Jean-Marie Gassend pour ses inépuisables suggestions , tous les intervenants dont l’érudition nous a impressionnés, les photographes qui ont contribué à agrémenter ce compte-rendu, enfin tous les participants pour leur bonne humeur et l’intérêt qu’ils ont manifesté.

 

 

Bernard Mille