Académie des Sciences, Agriculture,

Arts et Belles Lettres d'Aix-en-Provence

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Suze-Grignan

 

C’était la vie de château ce mercredi 16 avril 2014, pour les académiciens qui avaient honoré la proposition de notre confrère Roger Bout et de sa femme, dont la connivence pour concocter des activités suscitant l’intérêt des confrères n’est plus à démontrer. Le car attend les inscrits aux aurores, devant l’hôtel du Roi René, lieu de convergence des collégiens et lycéens qui tentent parfois d’associer les vénérables académiciens à leurs facéties! L’un des nôtres bravant le handicap d’une technique défaillante parvient à clore la trappe d’aération qui contribuait à répandre un froid glacial dans l’habitacle, dans l’indifférence du chauffeur qui prend la direction de Suze la Rousse! Une halte à Sénas permet de recueillir l’un de nos confrères qui effectue un grand écart entre Aix et Salon et notre organisateur nous conte l’histoire récente du château de notre première étape. Légué par Madame de Bryas, son ultime propriétaire, aux apprentis d’Auteuil il est ensuite revendu au Conseil Général de la Drôme. On comprend à demi-mot que les liens établis entre les politiciens de terrain et les plus hautes instances de la république peuvent accélérer les procédures, déplacer les voies ferrées, promouvoir des terroirs, valoriser un département…bref une université du vin est installée dans ce lieu que nous allons découvrir…mais d’abord une petite halte au jeu de paume suscite une série de pause, au travers d’un oculus, véritable dentelle de pierre.

 

Introduit par notre guide dans la cour du château qui a appartenu aux familles des Baux et la Baume-Suze, nous admirons celle-ci, les armes qui la décorent, les fenêtres qui l’ornent, les jeux de lumière que nous offre un soleil radieux…Tout serait tellement parfait si ce n’était ce vent glacial qui contraint de nombreuses dames à se blottir contre le mur! En cœur, elles auraient pu reprendre les termes de la lettre de la marquise de Sévigné à Grignan le 3 février 1695 « Hélas mon cousin, nous avons cent fois plus froid ici qu'à Paris. Nous sommes exposés à tous les vents. C'est le vent du midi, c'est la bise, c'est le diable, c'est à qui nous insultera; ils se battent entr'eux pour avoir l'honneur de nous renfermer dans nos chambres. »

 

Une famille où ont brillé un archevêque dont les armes s’entourent de 4 rangs de glands sous le chapeau, d’amiral des mers du levant même s’il n’a guère posé le pied sur une embarcation, se doit d’établir au XVII° siècle, une « entrée de vanité » et tant pis pour la place perdue. Dans les salles, les hauts plafonds aux énormes poutres de châtaigners participent à cette démarche de grandeur tandis que le dix huitième siècle avec ses stucs et ses gypseries contribuera à apporter une note de finesse et d’élégance. Un salon octogonal dont le plafond, par son contraste de vert et de blanc, rappelle la porcelaine de Wedgwood, retentit du souffle du mistral qui agresse ses huisseries. Puis la descente vers la chapelle va susciter le « mea culpa » du président de l’Université déplorant le fait que cet ancien lieu de culte ait été dévoyé en laboratoire de dégustation du vin…Il est vrai que l’autel baroque, demeuré en l’état, s’orne de colonnes torsadées peuplées d’anges joufflus qui caressent voluptueusement des grappes de raisin, comme si déjà se profilait la future affectation qui serait donnée. Inénarrable, au-dessus de la porte et sous les armes des seigneurs du lieu représentant des chevrons, la devise familiale nous interpelle « à la fin tout Suze » !

 

Nous descendons alors vers l’amphithéâtre où un cours magistral nous est donné sur les cépages, les terroirs et la meilleure façon de déguster ces vins exceptionnels qui nous sont présentés. De toute cette démonstration, on retiendra surtout que comme partout, il faut distinguer le Nord et le Sud, points cardinaux qu’on oppose et qui justifient tout! Les termes techniques sont là pour ennoblir cette démarche qui implique l’œil, le nez, la bouche suscitant des réactions visuelles, olfactives, gustatives.

 

De bouteilles emmitouflées dans un bas de laine surgiront un vin rosé, deux vins blancs et deux rouges : le gigondas et le « côtes rôties »…qui couleront dans nos verres pour nous permettre une mise en pratique de tout cet enseignement ! Mais comment aspirer l’air qui va dégager tant de saveurs sans laisser échapper le précieux breuvage ? Tout le monde s’applique, tout le monde s’accorde…en général sur ce qui plaît davantage ou un peu moins, à la satisfaction de notre formatrice!

 

A notre grande surprise le restaurant qui nous accueille se nomme le Garlaban ! Les scientifiques de l’Académie auraient pu rappeler qu’il n’est pas d’effet sans cause et comme par hasard, lorsque surgit, de derrière ses fourneaux, le maître des lieux, même s’il avait voulu le dissimuler, son accent et sa faconde auraient révélé ses origines marseillaises…D’ailleurs, à table tout est en rondeur, depuis la terrine d’asperges au mascarpone lovée dans son bocal rond, jusqu’aux tartes débordant de fruits rouges, en passant par le roulé de pintade à la tapenade qu’accompagnaient deux soufflés arrondis de légumes !

 

On aborde ensuite le château de Grignan, fief des Adhémar, vaste reconstruction selon les propos de notre guide de Suze…que n’aurait pas démenti Mme de Sévigné puisqu’elle écrivait en 1694  « Ce vilain degré par où l’on montait dans la seconde cour, à la honte des Adhémar, est entièrement renversé et fait place au plus agréable que l’on puisse imaginer ». Aussi quelle beauté sous le soleil, si bien valorisée par celui qui émaillera notre visite d’anecdotes dévoilant la personnalité de Madame de Sévigné, justifiant l’accrochage de certains portraits ou la mise en scène de quelques meubles ! On a noté avec quel tact il s’excusait devant notre adjointe à la culture de l’irrévérence provocatrice de la Marquise envers notre ville : « je demande pardon à Aix, mais Marseille est bien plus jolie, et plus peuplée que Paris à proportion». (25 janvier 1673 à Mme de Grignan.)

 

Et devant le portrait de Mademoiselle, il n’aurait pas fallu le pousser très loin dans ses retranchements pour qu’il évoque plus en détail les frasques de M. de Lauzun si pittoresque sous la plume du Duc de Saint-Simon ! Dans la grande galerie décorée chaleureusement au XIX° siècle, on imagine l’ampleur des réceptions, le faste de cette vie grandiose sur laquelle la Marquise attire, dès 1680, l’attention de sa fille « Quand je considère votre château, ma bonne, rempli de toute votre grande famille et de tous les survenants, et de toute la musique, et des plaisirs qui attirent M. de Grignan, je ne comprends pas que vous puissiez éviter d'y faire une fort grande dépense. Il n'y a point de provisions dont on ne trouve très promptement la fin avec tant de monde. C'est une affaire d'en racheter; c'est un gouffre que la consommation de mille choses qu'il faut acheter. Cela n'était point ainsi du temps de feu, monsieur votre beau-père, et je ne puis concevoir le château de Grignan comme un lieu de rafraîchissement pour vous.» Mais ce fut en vain et le grand train conduisit à la ruine, à la vente du château, situation encore aggravée par les démantèlements postérieurs!

 

Sur le chemin du retour, notre confrère Bernard Terlay va ennoblir la démarche de ceux qui firent une halte à la cave de Vaqueyras où l’on trouve bons vins et confiture de cynorodon…(familièrement gratte-cul !) par l’évocation d’un enfant du pays, Rimbaud de Vaqueyras. Poète, il se fera le chantre de ses protecteurs les seigneurs des Baux, homme d’action il partira ensuite en Italie, au service des Malaspina, des Montferrat, et achèvera son existence humaine à la IV° croisade!

 

Au micro, le président Bonnoit exprime la reconnaissance de l’Académie pour l’entreprise menée à son terme par R. et M.-F. Bout et se réjouit du succès de cette initiative.

 

   Bernard MILLE